Imaginer le concept d'un restaurant gastronomique de 700 mètres carrés : vous avez deux semaines ! Il en fallait plus pour effrayer les lauréats 2017 du Pritzker Prize, les Catalans de l'agence RCR Arquitectes, choisis par le chef Albert Adrià pour répondre à ce défi de taille et réaliser son dernier établissement barcelonais, Enigma, qui prend la suite de son fameux grand-frère, elBulli, fermé en 2011.

Il est de ces familles dont le nom ne saurait être frappé par l'oubli. Les Adrià sont de celles-là. Au commencement il y avait donc Ferran, le grand-frère, illustre chef étoilé d'elBulli ; puis le petit, Albert, pâtissier, élu, entre autres, meilleur de son domaine en 2015 par le magazine anglais Restaurant. Ensemble, ils font teinter les casseroles et chauffer les pianos durant 21 ans, avant la fermeture de l'institution en 2011. L'heure de l'émancipation a alors sonné pour le cadet qui monte une série de six établissements barcelonais, regroupés sous la bannière elBarri, « le quartier » en catalan. Une aventure couronnée en février dernier par la livraison du restaurant Enigma, « le dernier en date mais le premier en importance », livre son chef. Plus qu'un nom, un concept. Plus qu'un concept, une expérience. Avec l'aide de son aîné, et après des années de maturation, Albert livre enfin son nouveau-né, dont il confie la conception à l'agence locale RCR Arquitectes. Pourquoi ce trio de concepteurs de renom pour revisiter « un local obscur sans âme et avec poteaux », comme il le décrit ironiquement ? Car des quatre agences contactées par l'entrepreneur, RCR a été la seule à présenter une aquarelle, là où les autres proposaient des rendus 3D.

« Lors des premières rencontres, on ne dit jamais au client ce que son projet sera. On préfère plutôt imaginer cela avec lui. C'est pour cela que nous avons ici utilisé l'eau, par le biais de l'aquarelle, qui est pour nous la matière la plus proche du rêve. » Rafael Aranda, RCR Arquitectes

À l'extérieur comme à l'intérieur, c'est tout un monde onirique qui est proposé par les maîtres d'œuvre. Le mystère règne dès la façade en angle biseauté, typique du quartier de l'Eixample imaginé par Cerdà au XIXe siècle. Seules quelques bribes du lieu y transparaissent au travers de lames de verre translucides aux motifs aquatiques.



Outre la conception spatiale, l'intrigue commence dès le stade de la réservation, quand le client reçoit un code secret, son précieux sésame pour pouvoir accéder au mystérieux refuge. Dîner chez Enigma est un parcours initiatique de trois heures, qui se vit avec tous ses sens.
Après avoir franchi une rampe courbe, les 24 fins palais qui ont réservé leur ticket d'entrée cinq mois au préalable, sont reçus par petits groupes pour vivre un moment unique, une épopée labyrinthique en cinq actes et autant d'espaces séparés par des clairevoies en verre translucide et éclairés par 2 500 leds disposés dans un plafond vaporeux recouvert d'une fine maille métallique froissée. Ce périple dans une cuisine de haut vol s'amorce par le hall, où ils « se décontaminent de la ville » ; puis se succèdent le bar, la cave, les cuisines, la zone de teppanyaki – plaque de cuisson japonaise –, qui offrent une proximité entre clients et artistes culinaires ; et enfin un espace de restauration central, où les convives, tous arrivés en différé, se retrouvent pour déguster leurs mets sur du mobilier également dessiné par RCR Arquitectes.

Afin de mener le trouble des usagers à son paroxysme, RCR Arquitectes a mis en place une démarche totale, dessinant aussi bien les vêtements des serveurs que le motif des matériaux de revêtement. « Nous considérons les projets comme un tout, et non comme une somme de différents éléments », revendique Rafael Aranda. Murs, sols et plans de travail ont ainsi un même point de départ : les aquarelles réalisées par les lauréats du Pritzker Prize, dont les lignes ont été reproduites par la jeune marque espagnole Neolith sur des panneaux de pierre synthétique de grande dimension et de haute résistance, réalisés à partir de matières premières minérales et d'oxyde 100 % naturel. Un dessin de base réparti en trois planches de 70 par 100 centimètres, qu'il a fallu grossir pour l'adapter au sol de 700 mètres carrés de surface du lieu : « grossi, chaque pixel équivalait à 1 mètre carré ! », confie, amusé Andreas Manero, marketing manager de la marque. Un défi technique brillamment relevé par l'entreprise, qui a dû, pour l'occasion, repenser son processus de production pour façonner des panneaux sur-mesure, ensuite redécoupés en six parties, et de cette manière recalibrer à chaque fois sa machine, qui n'a donc jamais dessiné deux fois le même motif. Un puzzle dont chaque pièce est unique.

Une approche holistique qui fait voyager les papilles et les sens des fins gourmets.

Pour en savoir plus, visitez le site de RCR Arquitectes, Enigma et Neolith

Photographies : Neolith by TheSize



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