À l'occasion de la présentation à la presse de son biopic, la rédaction de Muuuz rencontrait le jeune prodige Bjarke Ingels sur ses terres, à Copenhague (Danemark), dans les impressionnants locaux de son agence, BIG, qui compte dorénavant plus de 450 collaborateurs répartis entre la capitale danoise, New York et Londres. Un parcours sans faute pour celui qui, à la base, ne souhaitait même pas être architecte mais dessinateur de BD.

Muuuz : Vous arrivez tout juste de l'aéroport. Que cela vous fait-il de savoir qu'une des premières choses que les gens voient de Copenhague depuis les airs est votre bâtiment 8-Tallet ?
Bjarke Ingels : C'est une façon plutôt sympathique d'être accueilli ! En fonction de la direction par laquelle vous arrivez, vous pourrez aussi bientôt voir une piste de ski installée sur le toit du Amager Resource Center, future station de traitement des déchets de Copenhague [située à deux pas de l'Opéra, il sera le bâtiment le plus haut de la capitale, ndlr]. C'est assez drôle de se dire que d'un côté il y aura le palais de la Reine, et en face une piste de ski !

Comment l'idée d'un biopic vous est-elle venue ?
L'histoire commence en 2009. Le réalisateur du film, Kaspar Astrup, tournait à l'époque My playground, dans lequel il suivait les freerunners de Parkour, qui utilisaient comme terrain de jeux The Mountain, l'immeuble d'habitation que nous avons conçu avec Julien de Smedt. C'était il y a 7 ans ! Au même moment, je me demandais comment intéresser les néophytes à l'architecture, car c'est rare d'arriver à capter leur attention sur le sujet, ou quand cela fonctionne c'est parce qu'ils trouvent un bâtiment moche ! Pour cela, je me suis dit qu'il fallait aborder le film comme une fiction, et non un documentaire.

Cela a été le point de départ des 7 ans de tournage de BIG TIME. Qu'est-ce cela fait d'être suivi aussi longtemps par un réalisateur ?
Kaspar est devenu un ami. Du coup, être suivi par lui n'a rien à voir avec le fait de l'être par une équipe inconnue. Et il n'était pas tout le temps là. Par exemple, quand j'ai déménagé aux États-Unis, il n'y avait que moi et un de mes associés, qui est également un ami. Maintenant il y a 200 personnes ! BIG TIME ne montre pas tout ce qui s'est passé entre-temps, on a l'impression qu'on s'est contentés de prendre un avion et que tout cela s'est fait facilement...

Avez-vous demandé à effectuer des coupes dans le film ?
On a fait quelques ajustements pour se concentrer un peu plus sur le contexte. Quand j'ai vu le montage final, j'ai été surpris de voir que c'était aussi une histoire d'amour. À la fin du film, on se dit « Bjarke a trouvé l'amour » !



Selon vous, le film parle de vous en tant qu'homme ou qu'architecte ? Qui de BIG ou de Bjarke...
Je dirais que c'est avant tout une histoire sur moi, en tant que personne. Ce serait pour moi un succès de savoir que les spectateurs ont ressenti de l'émotion, de la sympathie ou de l'empathie pour le personnage principal que j'incarne, tout en s'intéressant à l'architecture et à son impact sur la vie de tous les jours. Dans le film Storytelling, de Todd Solondz, un professeur d'écriture dit « peu importe ce qui s'est passé, dès que tu commences à écrire, tout devient une fiction ». Dans ce sens, ce qui arrive dans BIG TIME a beau parler de moi, il s'agit au final d'une fiction. Construire fait aussi appel à cet aspect narratif, car vous pouvez imaginer ce que vous voulez, mais le résultat peut être complètement différent.

La maison de vos parents que l'on voit dans le film, de style moderne, a-t-elle influencé votre travail ?
J'ai une théorie : je pense que les petits sont bien plus modernes que les grands. Dans les films de James Bond que je regardais, le méchant vivait toujours dans une maison avec terrasse, lignes géométriques et vitrage partout, je trouvais cela vraiment cool ! Puis à l'école, j'ai appris à aimer autre chose.

À ce sujet, pourquoi ne dessinez-vous pas de maisons ?
Je pense que c'est beaucoup de travail de concevoir des maisons privées. On a réalisé un ensemble de quatre habitations au nord du Danemark. Chacune d'elles est différente, comme un portrait des gens qui vont y résider. Plus ils ont une façon de vivre hors normes, plus c'est excitant ! Avant de commencer, on s'est assuré que les propriétaires souhaitaient réaliser quelque chose d'extraordinaire. Car pour un projet comme celui-là vous dépensez tellement d'énergie ! Pour que ce soit pertinent, c'est comme un film : celui auquel il se destine doit être émotionnellement investi.



Qu'est-ce que cela vous fait, à seulement 40 ans, d'avoir été choisi pour construire sur un site comme Ground Zero ?
C'est un honneur incroyable. On a l'impression d'être l'acteur de son propre film...
Je me rappelle très bien le jour où les tours ont été détruites. À l'époque je venais de monter ma première agence, PLOT, avec Julien de Smedt. On était en train de peindre nos premiers locaux. Notre stagiaire nous a avertis. On est restés scotchés. On regardait cela, abasourdis, et là, la seconde tour a été touchée. On prend alors conscience que tout peut un jour disparaître. Tout cela semblait invraisemblable ; avoir été choisi, 15 ans plus tard, pour construire une des tours de ce site l'est encore plus. J'ai appris cela alors que je venais de monter une antenne new-yorkaise. C'est comme si la boucle était bouclée, comme quand on prend conscience à la fin d'une séance de cinéma de l'importance de première scène...

Après une telle carrière, y a-t-il des projets pour lesquels vous seriez prêts à tuer ?
Commettre un meurtre ?! Oh non, je n'irais jamais jusque-là !

BIG TIME, Kaspar Astrup, Danemark, 2017, 93 minutes ; un article à découvrir sur Muuuz

Pour en savoir plus, visitez le site de BIG

Photographies :
1) © Steve Benisty
2) Amager Resource Center © Julien Lanoo
3) The Mountain, PLOT = BIG + JDS © Iwan Baan
4-6) BIG TIME, Kaspar Astrup, Danemark, 2017, 93 minutes
7) © Jonas Bie
8) © KT Auleta
9) 8-Tallet © Dragor Luftfoto
10-12) 8-Tallet © Jens Lindhe
13) Amager Resource Center © Julien Lanoo
14-17) Amager Resource Center © BIG - Bjarke Ingels Group & MIR
18-19) Superkilen © Iwan Baan
20) Serpentine Pavilion 2016



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